Crises à répétition : Macky Sall pourra-t-il encore garder Kaba ?
Il s'est établi entre le ministre de la Justice et la magistrature, une crise qui semble indépassable.

Crises à répétition : Macky Sall pourra-t-il encore garder Kaba ?

Le ministre de la Justice Sidiki Kaba
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L’affaire Souleymane Téliko, du nom du magistrat menacé de sanctions par le ministre Sidiki Kaba, pourrait ne jamais connaître une suite. A juste raison, puisque le Magistrat n’a pas été pris dans une affaire de corruption, de délit d’initié, mais parce qu’il a dénoncé les pratiques de son Garde des Sceaux. Sans doute légales, les consultations à domicile. Mais dans lesquelles le ministre est accusé d’abus. Rien donc de si grave, surtout que la déclaration du juge n’avait aucun caractère publicitaire, mais privé. La presse n’en aurait pas eu écho si Kaba lui-même, blessé dans son orgueil, n’avait pas senti la nécessité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour des sanctions disciplinaires.

 

Une énième maladresse, diront certains. Il y a deux ans, le Président Sall s’est senti mal à l’aise parmi ses pairs de l’Union africaine, quand son propre ministre de la Justice a initié une lettre réclamant l’arrestation du Président Béchir du Soudan, au nom de la Cour pénale internationale. Sidiki Kaba agissait en tant que président des Etats membres de la Cour, mais cela devenait tout de même gênant pour son patron. Quand il a été nommé à ce poste quelques mois auparavant, tous les observateurs pensaient que l’avocat droit-de-l’hommiste démissionnerait. Du fait des servitudes liées à ses nouvelles fonctions, mais aussi pour éviter des problèmes diplomatiques qui n’ont pas manqué de se faire jour. Mais c’était mal le connaître.

Quand, le 20 septembre 2016, une mutinerie éclate à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, c’est bien à New York que Kaba apprend la nouvelle. De son bureau new-yorkais. Et c’est de là qu’il part deux jours après, pour s’expliquer sur une situation d’une gravité extrême, qui avait causé la mort d’un détenu. Les incidents se multiplient depuis. Parfois, avec ses collègues. Comme quand il a fallu déloger des Policiers d’une cité réclamée par les gardiens de prison.

 

Mais la négligence la plus coupable reste sans doute le retard dans la réponse au Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies sur l’affaire Karim Wade. Kaba et Mankeur Ndiaye se sont renvoyé l’accusation, sur fond de grande manipulation de la presse. Mais au final, le Sénégal a été condamné et s’est retrouvé au banc de la communauté internationale comme ne respectant pas les droits fondamentaux des détenus.

 

Un peu avant, c’est pour une histoire de rabat d’arrêt, suite à une décision de la Cour suprême, que la Chancellerie s’est retrouvée dans une situation délicate. Cette situation, si elle n’était pas nouvelle, révélait un malaise au sein de la Justice. Les juges, hélas, n’en font bien souvent, qu’à leur tête. C’est ainsi que le parquet s’est retrouvé à faire appel de décisions « inattendues ». Comme ce fut le cas avec l’affaire Aida Ndiongue, considérée comme coupable, mais… libérée.
Parfois, jugent des proches du Chef de l’Etat, le Président de la République apprend certaines décisions à travers la presse. « Le Président de la République a été surpris par des décisions dans de nombreux cas. La libération conditionnelle de Cheikh Yérim Seck, celle de Jupiter Ndiaye, mais surtout celles d’Aïda Ndiongue, c’est à travers la presse que le Chef de l’Etat les apprend et c’est lui qui est accusé d’avoir procédé à ces libérations. Macky Sall s’est donné pour règle de ne jamais influencer la Justice. C’est la raison pour laquelle il est parfois surpris et apprend certaines choses à travers les ondes ». Le Chef de l’Etat aurait été très furieux en apprenant à la radio que certaines personnes auraient bénéficié de liberté à sa demande. Il n’agit pas, mais son ministre oui, selon certains magistrats. « Des magistrats, sciemment, de plus en plus, jugent certains cas d’homosexualité, notamment, en flagrant délit, parce qu’ils ne veulent pas d’intervention pour les faire libérer », tranche un magistrat.

Depuis son arrivée à la Justice, Sidiki Kaba multiplie les réformes. Trop nombreuses pour être comprises et assimilées, parfois très mal expliquées. La dernière en date, celle portant statut des magistrats, a été jugée discriminatoire, personnalisée, faite pour maintenir certains apparatchiks en fonction.

Alors qu’elle était sensée libérer les magistrats, cette loi les a plutôt révoltés. Pour la première fois dans l’histoire, au début de l’année 2017, un magistrat, Dème, a démissionné du Haut Conseil de la Magistrature. Dans sa lettre adressée au Chef de l’Etat, le jeune magistrat souligne que « la justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats. Ainsi constate-t-on, un traitement de certaines affaires, qui renforce le sentiment d’une justice instrumentalisée et affaiblit considérablement l’autorité des magistrats. Bien évidemment, la vitrine de la justice ne doit pas être une magistrature sous influence, mais plutôt une magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité. »

Au lieu de considérer son acte comme le signe d’un malaise, le magistrat Dème est accusé d’être un syndicaliste opposant et parfois, un magistrat véreux.

Depuis son arrivée en 2012, Macky Sall ne cesse d’entreprendre des réformes salutaires dans leur esprit, visant l’amélioration des conditions d’exercice de la magistrature, la liberté du juge.

Mais jamais dans l’histoire, les rapports les pouvoirs judiciaire et exécutif n’ont été aussi heurtés. Tout le corps judiciaire a pratiquement observé des grèves à répétition, des mises en garde et parfois des dénonciations publiques.

Abdoulaye Wade les avait malmenés, traité de tout, même « d’esclaves qui ne veulent pas se libérer ». Mais il savait aussi les amadouer. C’est sous son magistère que les magistrats ont eu les plus grandes avancées en terme de traitement salarial, de condition d’exercice de leur profession. C’est peut-être ce qui permettait de supporter ses sautes d’humeur du « vieux » et ses vannes mémorables. Mais il y avait toujours eu des relations bien meilleures entre la Chancellerie et les Magistrats. Basile Senghor, Mame Madior Boye, Cheikh Tidiane Sy avaient su établir des relations de confiance avec les magistrats. Sans doute et peut-être parce qu’Abdoulaye Wade ayant été auxiliaire de Justice, connaît leurs préoccupations et motivations réelles.

A son arrivée, malgré son autoritarisme légendaire, Aminata Touré avait su, elle aussi, travailler en parfaite intelligence avec les juges.
Ce n’est pas le cas pour Kaba. Ses rapports avec la Magistrature sénégalaise ont été faites de défiance. Droit-de-l’hommiste, il a toujours dénoncé les décisions judiciaires, notamment quand elles concernent les Droits des minorités comme les homosexuels. Il s’était porté à la défense du détenu Karim Wade et avait, de manière vigoureuse, dénoncé l’existence de la CREI, la jugeant « illégale ».
Quand il a été nommé, il a été appelé à défendre les idées qu’il dénonçait hier. D’où le mépris et des magistrats, et de ses propres confrères, qui l’accusent de reniement.
Kaba souffre justement de manque de sympathies et… d’amitiés dans la Justice. C’est par la faculté des Lettres de l’Université d’Abidjan qu’il est passé pour s’inscrire en licence de Droit, qui lui a ouvert les portes du barreau. Rien donc d’un circuit classique comme c’est le cas de magistrats et avocats sénégalais, qui ont appris à se fréquenter et à nouer des relations de complicité à l’université et dans les prétoires. Nombreux sont ceux qui pensent que Sidiki ne travaille que pour retrouver à nouveau un poste international. Il a déjà obtenu un mandat à la Présidence des Etats membres de la Cour Pénale Internationale.

 


Mais la question que se posent à peu près tous est de savoir pourquoi Macky Sall le maintient-il envers et contre tout ? A Tambacounda où il compte s’investir, le terrain était déjà occupé et le travail bien fait. Mais pour qui donc, et pour quoi donc, Kaba continue-t-il d’agir ?

 

Latyr NDIAYE







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