Gambie : les dessous de la médiation de Condé et Aziz
le président guinéen a demandé un délai de 24 heures pour tenter une énième médiation

Gambie : les dessous de la médiation de Condé et Aziz

Le Président Condé s'entretenant avec Yaya Jammeh
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L'avancée des troupes sénégalaises vers la Gambie, entamée jeudi vers 18 heures, a été arrêtée pour "donner une dernière chance à la paix", a déclaré le représentant régional de la Cedeao. L'arrêt de cette marche inexorable vers le Palais du dictateur Yaya Jammeh a été décidé pour accéder à une demande du Président de Guinée Alpha Condé, dont les relations "fraternelles" avec le dictateur gambien sont connues de tous. Alors qu'à l'opposé, les relations entre le Président guinéen et son homologue sénégalais n'ont jamais été des meilleures, faites de vieille rancune qui date de Senghor et Seckou Touré, nourrie suspcisions de complots de l'autre côté.

Depuis l'époque Seckou Touré, les différents Chefs d'Etat qui se sont succédés en Guinée ont mal vu l'accueil trop cordial fait aux opposants guinéens. Le Président Kondé en a bénéficié sous les différents régimes, bien traité pendant ses séjours à Dakar. Aujourd'hui, il colle à Dakar les mêmes griefs : de l'avis de Kondé, Dakar ne fait rien pour décourager les opposants qui se rencontrent sur le sol sénégalais pour préparer des coups contre son régime. Il était même allé jusqu'à soupçonner une "solidarité ethnique" entre Sellou Dellein Diallo, son opposant farouche et le Président Sall, tous deux d'ethnie Pulaar. Il a deux ans, la mesure de fermeture de la frontière avec la Guinée pour stopper le virus Ebola a exacerbé les tensions, durement ressentie à Conackry comme un manque de solidarité. Les relations entre les deux Chefs d'Etat se sont améliorées par la suite, quand le Président Sall a envoyé à Conackry une forte délégation le représenter aux obseques de la soeur du Président guinéen. Alpha Condé avait alors effectué à Dakar une visite d'amitié de trois jours pendant laquelle les deux "frères" ont levé les malentendus. Depuis, c'est l'entente cordiale entre les deux pays, mais le Président Condé, opposant respecté et aujourd'hui "sage" de la sous-région du fait de son âge, vit mal le leadership africain incarné par le Sénégal et son jeune président. 

 

Dès le début de la crise gambienne et dès que Dakar a fait part de sa détermination à faire partir Jammeh de gré ou de force, le Président Condé a fait une déclaration depuis Conackry, pour renouveler de façon audible son "amitié" à Yaya Jammeh. La Guinée et la Mauritanie, les deux voisins Nord et Sud du Sénégal pensent qu'une intervention pour rétablir la légalité constitutionnelle en Gambie ne ferait que renforcer le leadership politique et militaire du Sénégal dans la sous-région. Et c'est pourquoi le Président Abdel Aziz, autre ami du dictateur gambien, a lui aussi tout fait pour arracher un accord qui ôterait au Sénégal un prétexte pour intervenir en Gambie. La Guinée y trouve aussi un intérêt stratégique. Banjul a toujours servi de port secondaire et de lieu de transit de marchandises destinées ou en provenance de la Guinée. Les camions quittent le Port de Banjul pour rallier Conackry et à chaque fois que les transporteurs sénégalais ont imposé le blocus routier, cela s'est fait resentir à Conackry, dont les produits fruitiers prennent aussi cette destination pour certains pays scandinaves.

 

Le Président Condé sait donc que l'ambition nourrie par le Président Sall depuis son arrivée au pouvoir est d'imposer le leadership militaire de son pays dans la sous-région, dont il pourrait être à terme le gendarme. Pareille perspective ne rassure pas tous ceux qui ont des échéances électorales à court et moyen terme et qui sont tentés de les remettre en question le moment venu. Rien ne permet, a priori, de considérer que ce qui est valable pour la Gambie ne le sera pas pour la Guinée. Mais surtout, le Sénégal ne sortira que renforcé par l'établissement d'un régime démocratique plus souple et plus conciliant en Gambie. En réclamant un nouveau délai pour une médiation, Condé tente ainsi de sauver son ami Jammeh, mais il espère que le régime dictatorial tombera de lui-même et rendra inutile une intervention sénégalaise dans ce pays. L'homme qui s'est gardé jusqu'ici de condamner le volte-face de Jammeh, tout en se hâtant de revendiquer son amitié avec lui, sait que son initiative n'a aucune chance d'aboutir. 

Jammeh sait d'avance que son régime est tombé. Sa vice-présidente, désignée pour conduire la transition jusqu’à la prochaine réunion de la Cour-suprême, a démissionné. Son Chef d'Etat Major qui lui a juré fidélité une semaine auparavant, a célébré hier avec les Gambiens, la prestation de serment du nouveau président, qu'il a même appelé à rentrer. En milieu de journée, alors qu'une délégation de la Cedeao était présente à Banjul, un autre général a fait défection avec un bataillon entier. S'il se trouve toujours dans son pays, entouré de mercenaires zélés et de rebelles casamançais prêts à en découdre avec l'armée sénégalaise, Jammeh n'exerce par contre plus aucun mandat et n'a plus aucun pouvoir, sinon la terreur avec laquelle il a régné, et qui gagne toujours l'esprit des gambiens. Il est sûr aujourd'hui qu'il sera jugé et déféré devant un tribunal pour ses nombreux crimes par la CPI ou au mieux par une chambre africaines. Il a donc décidé de tenter un dernier exploit : celui de gagner encore quelques heures dans son palais de Banjul. 

Les dernières confidences du Président Aziz, qui se dit surpris par la rapidité de l'intervention de la Cedeao, sont d'autant plus incompréhensibles, qu'elles viennent d'un pays qui a quitté la communauté il y a une dizaine d'années. Encore que Yaha Jammeh a eu un mois pour changer d'avis. On ne voit pas au nom de quoi on devrait lui laisser un délai supplémentaire, alors qu'il a tenté de s'imposer de force après sa défaite.

Latyr NDIAYE







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